Le mythe de la « hijrah », l’installation en pays musulman,
Moussa, prénom musulman d’un Français converti à l’islam depuis huit ans, ne pouvait s’accommoder de l’islam « modéré » qui prévaut selon lui en France. Formé dans le génie civil, le jeune homme de 25 ans a pensé un temps s’installer en Egypte pour y apprendre l’arabe et le Coran. Puis, « malgré un niveau d’anglais plutôt moyen », il a cherché du travail dans un pays du Golfe, afin de pouvoir pratiquer sa religion « de la meilleure façon ». Il vit aujourd’hui dans les Emirats arabes unis avec sa femme franco-portugaise, également convertie. Et n’envisage pas de revenir en France : « Trop difficile », estime-t-il. Même s’il lui manque, dans l’ordre, « sa famille et le pain ».
Comme en écho à certaines positions défendues lors du débat sur l’identité nationale, qui a prospéré ces dernières semaines, Moussa est de ces musulmans français qui considèrent que « la France et l’islam sont incompatibles ». Tous ne franchissent pas le pas comme lui. Le phénomène, que les chercheurs ne se risquent pas à chiffrer, demeure d’ailleurs marginal dans la communauté musulmane. Mais, le mythe de la « hijrah », l’installation en pays musulman, parcourt de manière insistante les salles de prière et les mosquées de France.
Sans comparaison avec le « retour au pays » idéalisé par les populations immigrées de la première génération, ce nouvel horizon, popularisé par les tenants du salafisme, un courant rigoriste de l’islam, traverse des populations, dont les « origines » sont lointaines ou inexistantes dans les pays rêvés. Une pratique orthodoxe de la religion musulmane ajoutée aux discriminations réelles ou ressenties dans la vie professionnelle et sociale constitue les moteurs de ces expatriations d’un nouveau genre.
L’imam de Bordeaux, Tareq Oubrou, confirme cette tendance, tout au moins dans le discours : « Les jeunes des nouvelles générations envisagent la hijrah pour trouver du travail et pratiquer l’islam de manière visible tout en passant inaperçus. Certains vivent en effet leur religiosité en France avec douleur à cause du climat médiatique et sociétal. »
Le cas de Moussa est symptomatique de ce déracinement volontaire. Tenant d’un islam rigoriste, le jeune homme arbore depuis sa conversion une barbe longue et fournie mais récuse le qualificatif de « salafiste ». « Pour moi, l’islam est unique et il n’y a pas un islam plus « rigoriste » qu’un autre », insiste-t-il, dénonçant toutefois l’islam « du juste milieu » qui, en Europe, autorise les musulmans à adapter une partie de leurs pratiques au contexte socioculturel dans lequel ils vivent.
Plutôt que de devoir en rabattre sur ses nouvelles pratiques religieuses, embrassées l’année du bac à la suite de la conversion de son frère aîné, le jeune homme, originaire de la région lyonnaise, a donc préféré l’exil. Pour lui, qui souhaite prier cinq fois par jour aux horaires réglementaires, le contexte professionnel français était inadapté. « Je n’en veux pas à la société française, mais quand même ! Les entreprises refusent d’accorder une pause de cinq minutes aux musulmans pour prier alors qu’elles autorisent les pauses cigarettes ! », regrette le jeune homme, qui, malgré des expériences professionnelles plutôt satisfaisantes en France, assure aussi que certains emplois lui ont été fermés du fait de sa religion. « Certains patrons craignaient que le jeûne du ramadan me rende moins efficace un mois par an. »
Revendiquant un islam « ouvert », Khaled confirme en partie ces difficultés. Longtemps, il a prié « en cachette dans un bureau vide et pas forcément à la bonne heure ». Aujourd’hui, chaque fois que résonne l’appel à la prière, il prend cinq minutes pour se rendre à la salle de prière située dans son entreprise. Un soulagement pour ce jeune cadre en informatique de 31 ans, installé depuis deux ans à Dubaï.
Originaire de Lille, Khaled reconnaît qu’il est parti dans le Golfe « pour des raisons professionnelles « , mais qu’il hésite à rentrer en France « pour des raisons religieuses ». « Le retour en France serait difficile, estime-t-il, car la France a un problème avec l’islam. Ce n’est pas totalement négatif car cela prouve qu’il y a une prise de conscience du peuple français. Mais les débats actuels prouvent que nous sommes encore loin du compte. » Pour lui, « l’histoire du voile intégral est un exemple de cette crise ; cette pratique est très marginale, il n’y a pas à légiférer sur ce sujet. La réalité est qu’il est difficile pour un Français d’origine maghrébine de s’intégrer, y compris professionnellement ». Malgré tout, il sait qu’il rentrera un jour en France. « Simplement parce que je suis français et que ma famille y vit ! »
Ce « climat » incite aussi Meriem (prénom d’emprunt d’une catholique convertie en 1997) et son mari Abdellak, installés dans le sud de la France, à faire le grand saut l’été prochain. Le couple et ses trois filles partiront vivre en Algérie, pays d’origine d’Abdellak. S’il défend l’envie d’un « retour aux sources » et la conviction que …
19 janvier 2010 17:56
(suite)… conviction que « les opportunités professionnelles se trouvent aujourd’hui dans les pays du Sud », cet informaticien de 46 ans justifie aussi son prochain départ par « la pression et la suspicion qui pèsent sur les musulmans » en France. « Je n’en ai pas personnellement souffert, reconnaît-il, mais je le sens dans les discours politiques et dans les médias. » « Les musulmans se sentent humiliés en permanence. Je ne veux pas que mes filles vivent dans ce contexte. »
L’installation en Algérie convient aussi à sa femme, mal à l’aise dans sa pratique religieuse. Venue par étapes à la religion musulmane, cette mère de famille, qui travaille dans un service public, aimerait aujourd’hui porter le voile. Impossible au travail et difficile dans la vie de tous les jours, où elle avoue avoir du mal à se « défaire du regard des gens et de sa famille ». « Cela me manque, car c’est un acte de foi. En Algérie, je le porterai, y compris pour travailler », assure la croyante. « En France, on peut bien vivre son islam, concède-t-elle, à condition de ne pas trop demander. » Elle déplore qu’une femme voilée ne puisse pas travailler et que ses filles ne puissent pas manger de viande halal à la cantine.
Dans ce contexte, certains musulmans regardent avec envie les pays anglo-saxons, qui constituent parfois une première étape avant un départ en terre d’islam. Après un an et demi de stage en Angleterre, Samy B. en est revenu enthousiaste. « Tout le monde pratiquait sa religion sans problème, il y avait une mosquée sur le campus, personne ne s’étonnait de voir un homme avec une barbe un peu longue… En France, on parle de liberté religieuse mais j’ai l’impression que la laïcité est mal comprise. » D’origine tunisienne, ce Parisien pur jus a fini par s’agacer de chômer le lundi de Pentecôte et de travailler le jour de l’Aïd (fête du sacrifice) ou de ne pouvoir s’absenter pour la prière du vendredi. Puis a de plus en plus mal supporté l’ambiance « la France tu l’aimes ou tu la quittes ».
Faute de pouvoir changer « la mentalité des manageurs et des Français », il a cherché du travail dans le Golfe. En France, jure-t-il, malgré son DEA et son diplôme d’ingénieur, il lui aurait fallu quinze ans pour obtenir les responsabilités qu’il a acquises en quelques années à Dubaï.
A cette accélération de carrière s’est ajouté un épanouissement spirituel. « Aujourd’hui, je ne me cache plus pour vivre et pratiquer ma religion, ce qui me permet de mieux avancer à tous les niveaux. » Lui n’a pas renoncé à revenir, notamment lorsque ses futurs enfants seront scolarisés. « Et puis, le Vélib et le métro me manquent », assure-t-il en riant.
Ces parcours mûrement réfléchis et plutôt réussis ne doivent pas cacher la réalité de la hijrah, qui demeure inaccessible pour la plupart des candidats au départ. L’installation en pays musulman suppose, comme toute expatriation, de pouvoir monnayer son potentiel. « Si on veut travailler dans les Emirats, mieux vaut être diplômé et parler anglais », rappelle Khaled, qui avoue maîtriser davantage l’anglais que l’arabe. « Ce n’est pas parce que je suis musulman que l’on m’a laissé entrer. Ici, il n’y a pas de passe-droit pour les musulmans, les visas sont professionnels. » Pour les non-diplômés, la concurrence avec la main-d’oeuvre asiatique est féroce.
D’autres pays, comme l’Arabie saoudite, l’Egypte, la Syrie ou le Yémen attirent aussi les convoitises. Davantage choisis par ceux des musulmans qui souhaitent approfondir leur connaissance de l’islam et de la langue arabe, ces pays délivrent un visa étudiant. Mais ces visas ne sont pas renouvelés indéfiniment et, malgré le coût de la vie peu élevé, les contraintes économiques finissent par s’imposer et accélèrent les retours. « Les expatriés rentrent au bout de quelques années. Ils se rendent compte que la France est un pays libre avec des avantages sociaux non négligeables ! », commente M. Oubrou. Ces exils avortés sont connus de la communauté musulmane, mais rares sont ceux qui acceptent d’en parler.
Autre obstacle : les gouvernements des pays concernés ne voient pas toujours d’un bon oeil l’arrivée de musulmans pieux, susceptibles de verser dans le radicalisme ou l’islamisme. « Dans la banlieue du Caire, des Français musulmans sont montrés du doigt par les Egyptiens qui les trouvent trop radicaux dans leurs pratiques », explique le chercheur Franck Frégosi. Une suspicion que l’on observe aussi de la part des gouvernements dans les « pays d’origine ». « Je n’aurais pas voulu m’installer en Tunisie, où l’on surveille de près ceux qui fréquentent assidûment la mosquée », témoigne Samy.
Le cas du Franco-Algérien Ould Aïssa Charef illustre la sensibilité de cette question. Installé en Arabie saoudite en 2001 pour approfondir ses connaissances de l’islam à l’université du roi Abdel Aziz, il a été détenu un an dans une prison saoudienne. Soupçonné de « terrorisme », il a été libéré en novembre 2009 sans qu’aucune charge ait été retenue contre lui.
Stéphanie Le Bars. LeMonde
Collé à partir de <http://www.yabiladi.com/forum/reve-islam-66-3586003.html>