La semaine sanglante par Youssef ZERTOUTI
La semaine sanglante
(Historia magazine N° 196, octobre 1971)
Dans l’après-midi du 8 mai, le » téléphone arabe » apporte, des hauts plateaux du Tell jusque dans les bleds les plus reculés, les nouvelles de Sétif et de Guelma. En de nombreux endroits, les hommes disent : » Nos frères des villes ont été massacrés. Il faut les venger. «
Parmi les plus politisés, certains militants locaux du P.P.A. pensent que le moment est venu de mettre en application la e directive d’action directe « .
Au jour de la colère, l’offensive contre les Européens déferle de Sétif à la mer. Elle est parfois organisée par des groupes de choc qui sont allés sortir les armes de leurs cachettes, mais elle apparaît le plus souvent aussi spontanée que violente. Le bilan des victimes européennes dressé au soir du 9 mai par le préfet de Constantine, est de 103 morts ? y compris les 29 de Sétif ? et de 110 blessés.
Certains Européens s’étaient déjà constitués en » milices de défense « . Au soir du 9 mai, de telles milices se multiplient dans tout le Constantinois et quelques-unes enrôlent des prisonniers de guerre allemands et italiens travaillant dans les fermes. Ces groupes exercent, contre les Algériens, des vengeances sanglantes.
La marine est engagée et le » Duguay-Trouin » bombarde depuis le golfe de Bougie, les douars des communes mixtes de Timimoun et d’Oued-Marsa. Les Algériens capturés au cours des opérations d’infanterie sont emprisonnés et parfois exécutés. Les opérations répressives de l’armée sont sévères et les villages où l’insurrection a été la mieux organisée et la plus dure paient un prix particulièrement lourd. C’est cependant à Sétif, Guelma et Kerrata que la répression est la plus meurtrière : des centaines de morts.
Vers la fin de la » semaine sanglante « , certains responsables P.P.A. du Constantinois partent pour Alger et demandent au comité directeur du parti clandestin de lancer enfin la directive d’action directe et de » provoquer ainsi un soulèvement général de nature à soulager les populations des régions de Sétif, Guelma et Bougie qui supportent seules le poids des opérations militaires françaises « . Le comité directeur accepte leur suggestion, mais décide que l’ordre d’insurrection ne devra être donné qu’à la fin de mai, » car il faut au moins quinze jours pour préparer la lutte « . Les délégués présents à Alger regagnent leurs régions pour transmettre aux différents niveaux hiérarchiques du parti les nouvelles consignes.
Le fossé
Deux faits viennent cependant contrecarrer ces plans. Les services de renseignements du Gouvernement général, tout d’abord, interceptent sur un courrier clandestin, arrêté par la police, de précieuses informations sur les projets en cours, et le P.P.A. ne peut plus, du coup, espérer bénéficier de l’effet de surprise sur lequel il comptait. Les dirigeants du parti doivent, de plus, constater que, contrairement à leurs calculs, des » zones de dissidence » ne se constituent pas dans le Constantinois : les forces françaises ont, par le fer et par le feu, rétabli un ordre complet et contrôlent totalement la situation. Pour ces deux raisons, le soulèvement général est annulé par le comité directeur du P.P.A. Le passage de l’ordre au contrordre (également transmis de bouche à oreille) est si brusque que certains responsables de région ne seront pas touchés et que des installations militaires et civiles européennes seront attaquées, par exemple à Dellys, en Grande Kabylie, à Cherchell et à Saïda (offensive d’un commando de l’Algéro-Marocain Belh’acene). Menées dans le cadre d’une stratégie mal préparée et mal exécutée, ces actions se transformeront en autant d’opérations – suicide.
la guerre d’Algérie a-t-elle, commencé en 1945 ?
A l’heure des bilans, un communiqué officiel du Gouvernement général déclare que les opérations du rétablissement de l’ordre ont fait 1 150 tués du côté Algérien. L’état-major du colonel Bourdila, commandant la subdivision de Sétif, avance officieusement le chiffre de 7 500 victimes, qui est doublé par la commission d’enquête ? présidée par le général Tubert ? envoyée sur les lieux par le gouverneur général Chataigneau.
Le consul américain à Alger avance ? non sans intentions politiques – le chiffre de 40 000 à 45 000 victimes algériennes, et l’opinion publique musulmane se réfère plutôt à cette évaluation.
Chez les scouts algériens
Si, dans la seconde quinzaine de mai, le sang cesse de couler, la répression policière et judiciaire, qui a commencé dès le 9 mai sous le régime de la loi martiale, bat son plein dans toute l’Algérie, et notamment dans le Constantinois, contre les Algériens suspects d’action ou de propagande nationaliste ; les A.M.L., les principaux adjoints de Ferhat Abbas ? Ahmed Francis, Ahmed Boumendjel, Me Kaddour Sator, Me Mostefa El-Hadj, bâtonnier du barreau de Sétif, le Dr Ben Khellil, Aziz Kessous, directeur de l’hebdomadaire Egalité, qui vient d’être interdit ? sont arrêtés, tout comme leur chef et tout comme deux leaders de l’Association des ulémas, Bachir El-Ibrahimi et le cheikh Kheireddine. Sont également arrêtés des leaders P.P.A. comme Mohamed Khider, Abdallah Filali, Larbi Ben M’Hidi (1), Souyah Houari, Ahmed Bouguarra, le futur colonel de l’A.L.N., Si M’hamed, Ben Youssef Ben Khedda (2), ces trois derniers respectivement responsables locaux du P.P.A. à Oran, Affreville et Blida.
Quelques leaders nationalistes importants échappent cependant au coup de filet. Belouizdad s’enfuit de son domicile d’Alger par les terrasses, alors qu’on vient l’arrêter chez lui, et rejoint, à Constantine, Taïeb, Boulharouf (3), qui se cache dans le kiosque à tabac proche de la passerelle Perrégaux. Lamine Debaghine se tire lui aussi d’affaire et, déguisé en paysan, se réfugie au Maroc, où il est accueilli par un jeune étudiant nationaliste qu’il a connu à l’université d’Alger, Mehdi Ben Barka. Rabah Bitat passe quelque temps dans le camp des scouts algériens de Sidi-Ferruch, qui abrite plusieurs fugitifs recherchés comme lui par la police.
5 000 détenus, selon les chiffres officiels ? 10 000, selon les notables algériens ? peuplent bientôt les camps d’internement du Sud? (Bossuet, Méchéria, Aumale, etc.), les prisons d’Alger et de Maison-Carrée, la prison d’Oran, celle de Lambèse dans l’Aurès, celle de Koudiat à Constantine (où est envoyé un Européen, alors communiste, le Dr Catouard, qui a protesté contre la répression). La justice est expéditive et sévère : un Algérien de Bône est condamné à deux ans de prison ferme pour » outrage par regard à sous-préfet « . Les sentences des tribunaux militaires frappent 1500 personnes (99 condamnées à mort, 64 aux travaux forcés à perpétuité, 329 aux travaux forcés à temps). La plupart emprisonnés et des internés seront élargis à l’occasion d’une grande amnistie, en mars 1946, mais certains des condamnés tel le militant P.P.A. de Kouba, Amar Foughali, ne seront libérés que dix-sept ans plus tard, quand l’Algérie deviendra indépendante.
Les événements de mai 1945 marquent une date cruciale dans l’histoire de l’Algérie, car ils creusent le fossé entre la communauté européenne et la communauté musulmane.
On peut observer, en 1955, que si la rébellion algérienne a commencé dans l’Aurès et s’est étendue à la Grande Kabylie, c’est dans le quadrilatère Bougie Sétif – Souk-Ahras – Bône qu’elle s’est le plus profondément implantée. Ce quadrilatère, c’est le territoire de la wilaya 1. La zone où la semaine sanglante du 9 au 16 mai 1945 a fait le plus de victimes. La guerre d’Algérie a commencé, en vérité, en mai 1945.
(1) Mohamed Khider, Ben M’Hidi, et Rabah Bitat seront trois des neuf chefs historiques, qui neuf ans plus tard, le 11?1 novembre 1954, déclencheront la révolution.
(2) Futur président du G.P.R.A. à l’heure de la signature des accords d’Evian.
(3) Participera comme plénipotentiaire à la première conférence d’Evian, en 1961.
3 commentaires »
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Monsieur,
Juste l’historique de mon grand pere le nomme ALLIA AISSA ,expulse de la commune de SIDI-AISSA ou residait en 1945 a BOSSUET(Algerie)et si s’est possible des documents.
Je vous remercie
Monsieur,
Juste l’historique de mon grand pere le nomme ALLIA AISSA ,membre de l’association des oulemas ,expulse en 1945 de la commune de SIDI-AISSA ou residait a BOSSUET a l’ouest de l’Algerie et si s’est possible des documents.
Je vous remercie
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