Les émeutes autour de Sétif et la répression qui s’en suivit
Source http://echodupays.kazeo.com/
Voici, dans son intégralité, le récit circonstancié des émeutes qui ont vu le
jour, à Sétif, le 8 mai 1945 et de la répression qui suivit cette insurrection, par
le colonel Adolphe GOUTARD, historien militaire, tel qu’il l’a écrit pour Historia
Magazine La Guerre d’Algérie.
Sétif était une subdivision de la division territoriale de Constantine que
commandait le général Duval. Nul mieux que lui n’a défini l’insurrection qui
embrasa cette subdivision.
« Dès le 8 mai, écrit-il dans son rapport, l’insurrection prend le caractère de la
guerre sainte, de la djihad. Elle se développe avec une soudaineté, une
violence et un fanatisme qui démontrent que l’âme fruste du berbère n’a pas
changé depuis des millénaires.
L’insurrection s’est déroulée sous le signe de la haine du roumi et de la
France.
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Elle n’a épargné ni les vieillards, ni les femmes, ni les enfants. Ceux qui ont vu
les scènes de carnage et les corps atrocement mutilés en garde une
impression d’horreur. »
C’est jour de marché. De nombreux indigènes venus des douars voisins
emplissent les rues. Vers 7 heures, un rassemblement se forme devant la
mosquée. La troupe scout musulmane Kechafat el-Hyat est autorisée à défiler
pour se rendre au monument aux morts.
Vers 8h30, elle se met en marche, suivi par un cortège de 7 000 à 8 000
personnes. En tête, trois hommes portent un drapeau français et deux
drapeaux aux couleurs du prophète. Derrière eux apparaissent des pancartes
sur lesquelles on lit : Libérez Messali ! Nous voulons être vos égaux ! Vive
l’Algérie indépendante !
Vers 9 heures, le cortège arrive rue de Constantine où il se heurte à un
barrage de police. Le commissaire central somme les manifestants de faire
disparaitre les pancartes séditieuses. Sur leur refus, la police essaye de s’en
emparer.
C’est le signal de la bagarre. Des coups de feu éclatent. Le cortège se
disperse et les manifestants se répandent dans la ville assaillant à coups de
pistolet, de couteau, ou de bâton, les européens rencontrés dans les rues ou
assis à la terrasse des cafés. On entend les cris de N’Katlou ennessara !
(Tuons les européens !). Les femmes poussent de stridents you-you.
Rue Sillègue, M. Deluca président de la délégation spéciale s’efforce de
calmer les excités. Il est abattu.
D’autres meurtres sont commis.
Quand vers, midi l’ordre est rétabli, on relève dans les rues vingt et un
cadavres d’européens.
D’après le procès verbal détaillé, on voit que treize de ces cadavres ont le
crâne complètement enfoncé, un est éventré et un autre émasculé.
Dans l’après midi, les troubles s’étendent au nord de Sétif.
A El ouricia, à 12 kilomètres, l’abbé Navarro est abattu.
Aux Amouchas à 10 kilomètres plus au nord les maisons européennes sont
pillées mais leurs habitants ont pu fuir.
A Périgotville, les insurgés pénètrent dans le bordj et s’emparent de 45 fusils
Lebel, et de 10 000 cartouches puis ils attaquent les européens et pillent leurs
maisons. Au soir, quand le village sera dégagé, on relèvera 12 cadavres
sauvagement mutilés.
A Sillègue, le garde champêtre M. Mutschler est tué ainsi que sa femme et le
cantonnier. Les maisons européennes sont pillées puis incendiées.
A La Fayette, de gros rassemblements d’indigènes se forment mais sur
l’intervention de l’administrateur, aidé par des notables musulmans, les
attroupements se dispersent.
Il n’en est pas de même malheureusement à Chevreul, à 60 kilomètres au Nord
de Sétif. A 2 heures du matin, le village est pillé et incendié. La plus part des
européens s’étaient réfugiés à la gendarmerie, mais ceux qui ne l’avaient pas
pu sont massacrés et mutilés. Le lendemain quand les secours arriveront, on
trouvera 5 cadavres dont ceux de trois hommes émasculés. Le garde forestier
Devèze et les agents des Ponts et Chaussées Coste et Bovo et ceux de deux
femmes : Madame Devèze et Madame Bovo, celle-ci est mutilée des deux
seins.
En outre quatre femmes ont été violées dont Mme Ruben, âgée de 84 ans,
madame Grousset et sa fille Aline âgée de 15 ans.
Pour ce premier jour on dénombrera au total dans la subdivision de Sétif : 84
tués dont 13 femmes.
Dans l’après midi du 8 mai, autour de la place du marché ou les associations
patriotiques se sont réunies pour célébrer l’armistice, de nombreux indigènes
se massent portant des pancartes et l’étendard du prophète. Quand le cortège
arrive devant le monument aux morts, les manifestants se mettent à scander :
libérez Messali !, tapant des mains en cadence et levant l’index vers le ciel.
L’intervention de la police déclenche une bagarre à laquelle met fin l’arrivée
d’un renfort de policiers.
Bilan 46 blessés chez les agents et les civils européens, un tué et 30 blessés
chez les manifestants.
Le 9 mai, un nouveau foyer s’allume autour de Guelma ; Croyant la ville aux
mains des insurgés, de nombreux groupes de musulmans armés descendent
de leur montagne sur Guelma mais ils se heurtent au bataillon d’instruction du
7° tirailleurs et aux civils français que l’énergique sous-préfet Achiary a fait
armer conformément au « Plan de défense des centres de colonisation ».
Cependant les abords et les communications ne seront dégagés qu’à partir du
lendemain avec l’aide du groupe mobile motorisé de Combourieu envoyé
d’urgence de Tunisie.
Dans les départements d’Alger et d’Oran l’ordre n’est pas troublé.
En somme, le 8 mai 1945 un foyer insurrectionnel a éclaté à Sétif, fief de
Ferhat Abbas et de ses « Amis du Manifeste » et a gagné les environs. Il s’agit
maintenant d’éteindre cet incendie avant qu’il se propage dans toute l’Algérie.
Le 8 mai 1945, les unités de campagne de la division de Constantine sont en
Allemagne. Pour maintenir ou rétablir l’ordre dans cette immense région sous-
administrée qui comporte des massifs comme ceux de l’Atlas tellien, de
l’Aurès et des Babors, difficilement pénétrables, le général Duval ne dispose
que d’un effectif total de 9 000 hommes en grande partie composé de dépôts
et unités de garde, inemployables en opérations.
En fait, il n’a, comme éléments mobiles, que le 15° régiment de tirailleurs
sénégalais, un bataillon de marche du 3° zouaves, le 9° spahis, privé des deux
escadrons détachés en Tunisie, un escadron motorisé de la garde, un peloton
motorisé de légion, un goum marocain et un groupe d’artillerie.
La gendarmerie n’a que 523 gendarmes présents disséminés sur tout le
territoire en 74 brigades. Il est évident que, pour arrêter le massacre avec si
peu de moyens et avant l’arrivée d’importants renforts d’Algérie et du Maroc, il
fallait agir vite et fort.
C’est ce que le général Duval exposera au ministre, par lettre du 26 mars
1946, en réponse aux accusations de Ben Djelloul :
« J’ai hautement conscience, non pas d’avoir dirigé des opérations de
répressions, mot qui choque mon sentiment de soldat et de français, mais
d’avoir rétabli la sécurité en limitant, dans la mesure du possible, l’emploi de
la force… Si le mouvement insurrectionnel n’avait pas été étouffé à ses
débuts, l’incendie aurait embrasé tout le constantinois, puis l’ensemble de
l’Algérie. Il me souvient non sans émotion de la période critique, qui dura
jusqu’au 18 mai, où l’on sentait les masses indigènes des campagnes en
transes et poussées à la guerre sainte, guettant la proie facile des villages et
des fermes isolées, prêtes à se lancer au pillage au premier succès
d’émeute. »
Le 7 mai au soir, inquiété par certains renseignements, le général Henry
Martin, commandant le 19° corps et la X° région militaire à Alger, avait
prescrit à ses trois divisions territoriales Alger, Oran et Constantine, de
constituer des piquets en armes. En conséquence, le 8 mai à 5 heures , le
colonel Bourdila commandant la subdivision de Sétif qui dispose de la valeur
d’un bataillon fait rassembler dans la cour de la caserne deux compagnies,
faisceaux formés, avec ordre au chef de détachement d’ « éviter à tout prix,
s’il doit intervenir, de faire usage des armes, sauf le cas de légitime défense ».
A 9 heures, un agent de police arrive en courant à la subdivision, et se
précipite vers le colonel : « Mon colonel, on tire du côté de l’Hôtel de
France ! ».
Aussitôt, l’ordre est donné au commandant Rouire de se porter avec le
détachement dans le centre de la ville.
La troupe s’y rend au pas cadencé. Le chef de bataillon s’avance avec un
clairon au-devant des manifestants et ses sommations, sans aucun coup de
feu, aident la police à dégager le centre de la ville.
A 11 heures, le commandant Rouire reçoit l’ordre de se porter avec une
compagnie au marché arabe où, comme nous l’avons vu, plusieurs milliers
d’indigènes sont aux prises avec la police. Là, sa troupe repousse les
manifestants à coups de crosse, sans tirer, malgré la découverte exaspérante
de cinq cadavres d’européens affreusement mutilés.
Vers midi, le calme est revenu à Sétif, où l’on relève les 21 cadavres
d’européens que nous savons.
Mais l’insurrection a gagné les environs.
A 10 heures, la division de Constantine a reçu ce message de Sétif :
« Emeutes ont éclaté. Morts et blessés dans la population européenne.
Situation semble très grave. »
Un second message dit : « Rassemblement inquiétants à Oued-Zenati »
Le général Duval dirige alors de Philippeville sur Sétif un peloton de 5 half-
tracks de la garde mobile et une compagnie du 15° sénégalais en camions.
Le peloton de la garde arrive à Sétif à 15H30. On lit dans le journal de marche
de l’unité :
« De Sétif, le half-track du capitaine Mazucca repart immédiatement pour
dégager Périgotville, qui est encerclée. Aux abords de ce village, le half-track
est stoppé par un barrage de pierres et pris sous des feux assez nourris. Les
balles s’écrasent contre le blindage. Il riposte à la mitrailleuse et fait sauter le
barrage. Son arrivée dans Périgotville coupe court aux massacres. Une
douzaine de cadavres sont relevés, sauvagement mutilés. Les faces sont en
bouillie. De larges flaques de sang s’étalent sur le seuil des maisons aux
portes ouvertes. Poursuivis par le feu des mitrailleuses, les assaillants se
retirent dans le djebel. »
Quant à la compagnie sénégalaise, retardée par des pannes, elle n’arrive à
Sétif qu’à 22 heures.
Une partie est aussitôt envoyée sur Sillègue, qu’elle trouve en flammes à 2
heures. L’autre partie, comprenant deux sections sous les ordres du
lieutenant Bentegeat , est dirigée sur Aïn-Abessa, à 18 km au nord de Sétif.
Quand elle y parvient, vers 1 heure, la situation est la suivante : depuis la
veille au soir, le bordj où la population européenne s’est réfugiée et dont la
défense a été organisée par le chef de brigade de gendarmerie, est assiégée
par un millier d’indigènes conduits par Debache Seghir, membre influent des
« Amis du Manifeste ». Ils arrosent le bâtiment de rafales de mitraillette et de
coups de fusil.
A l’arrivée du lieutenant et de sa petite troupe, les assaillants se retirent. Une
patrouille envoyée dans le village délivre la famille Heyberger, également
assiégée dans sa maison. La patrouille arrête plusieurs des assiégeants, pris
les armes à la main, dont le secrétaire général des « Amis du Manifeste ». En
fouillant le village, on découvre le cadavre de M. Fabre, tué à coups de pistolet
et de gourdin.
Autre délivrance : le 9 mai, au matin, le lieutenant Poutch est envoyé avec un
petit détachement sur Kerrata. Il fait irruption dans le village en plein
massacre ! Son arrivée y met fin. On lit dans son rapport :
« Nous trouvons cinq cadavres, dont ceux du juge de paix M. Trabaud et de sa
femme. Vingt personnes se trouvent sur le toit d’une maison en flammes. Je
réussis à les sauver et après avoir dispersé à la mitrailleuse les assassins, je
rassemble la population européenne au château Dussaix, sous la protection
des gendarmes. »
Autre sauvetage de justesse : celui de Chevreul.
Nous avons vu que le 8 mai, les habitants européens, qui avaient échappé au
premier massacre, s’étaient réfugiés à la gendarmerie où se trouvaient en
dépôt les armes du centre colonisation. Les deux gendarmes du poste les
avaient distribuées aux hommes. La gendarmerie fut investie et le siège
commença. Pendant toute la journée du 9 mai, les insurgés, postés aux
alentours, tirèrent sur les fenêtres. Ils coupèrent la conduite d’eau, privant les
assiégés d’eau potable. Dans la soirée du 9 mai, ils parvinrent à s’emparer du
rez-de-chaussée. La défense se concentra alors au premier étage.
Ce n’est que le 10 mai au matin, qu’arrive devant Chevreul le détachement du
commandant Rouire (une section de half-tracks et une compagnie de
zouaves). Le commandant envoie une section à l’est du village et une autre à
l’ouest pour le cerner. La section de l’est met en fuite les rebelles et capture
des bourricots chargés de tapis et autre butin que les pillards abandonnent.
« J’entre moi-même dans le village, avec des half-tracks, relate le
commandant et je marche sur la gendarmerie. A notre arriveé, la joie et
l’émotion sont intenses. Les habitants hommes femmes et enfants sont émus
jusqu’aux larmes d’avoir été sauvés in-extremis car les rebelles avaient déjà
répandu de l’essence au rez-de-chaussée ».
Mais nos détachements ne peuvent intervenir partout.
Le 10 mai, à Tamentout, près de Djidjelli, la maison forestière est attaquée.
Les deux gardes, leurs femmes et deux enfants de 10 et 3 ans sont
massacrés.
Dans la subdivision de Bône, lorsque les gendarmes arrivent à Peitt, ils
trouvent 4 cadavres affreusement mutilés, dont celui du gérant de la ferme
Lucet, massacré par ses ouvriers indigènes.
En revanche, dans la subdivision de Constantine, une compagnie de zouaves
et 2 half-tracks de la garde recueillent à Djemila, 5 européens qui ont été
sauvés par les ouvriers indigènes du chantier archéologique.
Le 11 mai, au nord de Sétif, villes et villages sont dégagés. Refoulés vers le
nord, les insurgés ont atteint la côte. Aux Falaises, dans le golfe de Bougie, ils
tuent l’hôtelier, blessent grièvement sa femme et pillent l’établissement. Puis,
ils marchent sur Mansourah, mais un bateau de guerre intervient et en
quelques salves, les disperse.
Dans la subdivision de Constantine, 2000 indigènes armés de fusils, de
haches, de faux et de bâtons se rassemblent près de Jemmapes, mais
l’arrivée d’un détachement de Philippeville permet à l’administrateur de faire
entendre raison aux chefs locaux des « Amis du Manifeste » qui renvoient leur
troupe.
« Au soir du 12 mai, lit-on dans le rapport de la X° région, l’insurrection est
jugulée. Cependant des régions étendues ne sont pas sûres. Leur coup fait, les
insurgés se sont retirés dans la montagne. Ils ne descendent plus dans les
villages, mais ils surveillent les routes. Des villages entiers sont vides, les
européens les ayant évacués et les indigènes les ayant fuis de peur des
représailles. Il reste à obtenir la soumission des rebelles réfugiés dans les
massifs de Tamesguida, du Babor, et du Ta-Babor (arrondissement de Sétif) et
dans les djebels Arouz et Mahouna (arrondissement de Guelma). C’est à cette
tâche que la division de Constantine va s’employer à partir du 13 mai. »
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Pour réaliser cette pacification, des renforts importants sont mis à la
disposition du général Duval, commandant la division de Constantine qui peut,
ainsi, comme il l’écrit lui-même :
« Envisager des actions méthodiques et profondes, caractérisées par la
surprise, la rapidité et la puissance. L’idée directrice est la suivante :
. Dans un premier temps, délivrer les villages et les fermes encore
bloqués et rétablir la circulation routière et ferroviaire et les
communications par fil ;
. Dans un deuxième temps, par des opérations de police, réduire les
bandes armées et en obtenir la soumission. »
On distingue trois zones opérationnelles : la zone est (Guelma), la zone centre
(Constantine-Philippeville) et la zone ouest (Sétif), la plus dure.
Voir taille réelle
Dans la zone est, une première opération exécutée par un escadron de half-
tracks du 9° spahis et un bataillon ne donne pas de résultats. Les dissidents
ayant fait le vide devant la progression de nos troupes.
Une deuxième opération de même force est exécutée, le 20 mai, sur les
douars au sud de Villars. De quelques mechtas, les indigènes tirent des coups
de feu. Une centaine d’entre eux sont amenés à la gendarmerie de La Verdure
pour être interrogés. Des fusils de chasse sont livrés.
Cette opération produit une grosse impression. Les douars Aouaïd et Bahouna
rentrent dans l’ordre.
Le 24 mai, une opération plus importante est menée entre la route Guelma-
Sedrata et les mines du Nador, sous la direction du colonel Schmidt, disposant
du groupe mobile de Guercif et de deux escadrons du 9° spahis. Sa mission est
la suivante :
« Rechercher et capturer les éléments rebelles. S’abstenir de toute action non
justifiée par une attitude hostile des habitants. Prendre contact avec les chefs
rebelles et tenter de les amener à résipiscence. Ne rien prendre sans
paiement. Remettre aux autorités civiles les troupeaux abandonnés. »
Le colonel fractionne sa troupe en détachements qui, partant de points
différents, pénètreront concentriquement dans le massif dont Mahouna
constitue l’observatoire central.
Ces opérations se déroulent dans les meilleures conditions. Elles prennent fin
le 30 mai. La présence de nos forces répandues dans tout le massif et les vols
d’intimidation exécutés par quelques avions amènent la soumission des
douars de la région Laperrine.
Le 28 mai, les douars de Millesimo se soumettent à leur tour. 1116 fusils de
chasse et 74 de guerre sont livrés ou saisis.
Dans la zone centre, la plus calme, le colonel Serre, avec un bataillon de
sénégalais et un escadron de la garde mobile et une compagnie de fusiliers
marins se borne à maintenir la sécurité par des déplacements constants.
La zone ouest (Sétif-Djidjelli) est non seulement la plus contaminée, mais
aussi la plus accidentée avec des sommets élevés. Ce sera donc la plus
longue à pacifier. Une force de 3 670 hommes y sera employée (10° et 15°
régiment de tirailleurs sénégalais, école de cavalerie de Hussein Dey, groupe
mobile n°2 de la légion de Sidi bel Abbès et une batterie de 75).
Cependant, la première série d’opérations qui s’ouvre, le 13 mai, dans la
région de Kerrata et celle de Tizi-N’Bechar se déroule sans grande difficulté.
Des scout-cars parcourent le bled et la montagne, convoquant la population
respectivement à Kerrata et Tizi-N’Bechar, pour le 15 mai.
Au jour dit, les indigènes descendent en groupes compacts. A 11 heures, il y
en a 6 000 à Kerrata et 2 800 à Tizi –N’Bechar. Le colonel Bourdila va recevoir
leur soumission, successivement.
Mais il reste à pacifier les massifs redoutables du Babor et du Ta-Babor, deux
chaînons parallèles qui culminent l’un à 2 004 mètres, l’autre à 1 960 mètres,
à l’est de Kerrata.
Quatre groupements, de trois compagnies sénégalaises chacun, encerclent
le massif dans lequel ils pénètrent concentriquement le 19 mai. Sur un terrain
de plus en plus accidenté, la marche est difficile. Les mechtas sont vides
d’habitants. Le 20 mai, cependant, en approchant du Babor, on trouve des
femmes, des enfants, des vieillards, mais tous les hommes valides ont
disparu.
Pendant ce temps, au nord, entre la côte et le Ta-Babor, le commandant Bart,
avec son bataillon du 15° R.T.S, procède à des opérations de reddition. De
nombreux meneurs sont arrêtés et remis à la gendarmerie.
Impressionnés par ce déploiement de forces surgissant de tous côtés et par
les interventions de notre aviation, dont deux appareils lancent des bombes,
les 19 et 20 mai, de même que par la vue de nos navires de guerre qui
croisent au large du cap Aokas, les dissidents demandent l’aman.
Le 22 mai est la journée culminante de cette période des points de vue
militaire et politique. Suivons-en le déroulement d’après un extrait de presse.
« Le 22 mai, par une radieuse matinée de printemps,
dans le cadre de la plaine de Melbou, près des
falaises, les tribus des communes mixtes d’Oued-
Marsa et Djidjelli font leur soumission. Une
interminable caravane d’hommes, de femmes et
d’enfants encombrent la route. Le long du rivage sont
rangés quelques navires de guerre. Près de 15 000
indigènes se déplacent face à la route nationale.
Soudain une nouba fait entendre le garde à vous. Ce
sont les autorités civiles et militaires qui arrivent. Les
troupes sont passées en revue. Sur une éminence, un
grand mât est dressé. L’envoi des couleurs a lieu, au
milieu des « you-you » stridents que poussent les
femmes, tandis que les hommes saluent le drapeau.
La fanfare des tirailleurs joue « la Marseillaise ». Les
navires de guerre tirent des salves.
Tout à coup le silence se fait. S’adressant aux milliers
d’indigènes rassemblés, le colonel Bourdila leur dicte
d’une voix forte les conditions de la reddition. Puis, le
général Henry Martin s’avance, flanqué de deux
interprètes, sur une butte qui domine le terrain où sont
massées les familles musulmanes.
Au pied de cette butte sont alignés seize caïds aux
burnous écarlates brodés d’or. Le commandant du 19°
corps prend la parole :
« Louange à Dieu, le maître des mondes qui nous
réunit aujourd’hui pour suivre la voie droite ! Hommes
libres, c’est un homme libre qui vous parle au nom de
la France ! Guerriers et anciens soldats, c’est un chef
de guerre qui veut vous aider à retrouver la paix !
Satan a égaré les esprits de certains. Ils ont écouté
les mensonges des gens ambitieux et cupides. Ils ont
tué des hommes, des femmes et des enfants. Comme
des hyènes, ils ont profané leurs cadavres ! Nous
voulons que la paix règne dans nos campagnes et
dans nos montagnes. Vous allez y retourner. N’écoutez
pas les méchants qui prêchent la haine, les
pharmaciens qui font des discours au lieu de préparer
les remèdes bienfaisants. Restez dans la voie droite
pour faire de l’Algérie française un pays où des
hommes libres peuvent travailler en paix. Et vous
vivrez longtemps. Et vous verrez vos biens grandir. S’il
plait à Dieu ».
Quatre jours plus tard, le 26 mai, le commandant de la division de
Constantine, peut donner à ses subdivisions les directives suivantes :
« La situation étant redevenue normale, l’intervention de la troupe ne pourra
avoir lieu que sur réquisition écrite de l’autorité civile… S’abstenir
rigoureusement de toute attitude agressive. »
Et, le 29 mai, le général Duval précise :
« La période de répression peut être considérée comme terminée. La phase
qui s’ouvre exige des chefs militaires des qualités de tact, pour comprendre à
la fois la mentalité des indigènes et celle des colons dispersés dans la
campagne. Il faut rétablir la confiance chez ceux-ci, encore sous le coup des
atrocités commises et, pour cela montrer la troupe en déplaçant
constamment les détachements. »
On a parlé de « véritables massacres » exécutés par notre aviation. En fait, à
partir du 10 mai, la division de Constantine disposa de 18 avions (P-39 ou 4-24)
basés sur les terrains de Sétif ou de la Reghaïa. Ce jour-là, deux bombes
furent larguées sur des rassemblements près de Fedj-M’Zala et deux autres
sur les pentes de la Mahouna, près de Guelma.
Le 12 mai, il est demandé à l’aviation, pour le 13 mai, de survoler la région de
Constantine, Guelma, et Souk-Ahras afin de signaler par radio les
rassemblements suspects. La consigne est de ne pas tirer, sauf en cas
d’agression au sol caractérisée. L’ordre de la division précise : « La présence,
seule, de nos avions doit rassurer les populations fidèles et intimider les
autres, sans risquer d’atteindre les premières. »
Le 14 mai, sur la demande des colonnes à terre qui sont en situation délicate,
des bombardements sérieux et des mitraillages sont exécutés sur des
rassemblements et des mechtas qui résistent. Nos appareils larguent au total
90 bombes de cinquante kilos et 41 bombes de 100 kilos et leurs mitrailleuses
tirent 4 000 cartouches. C’est la seule opération aérienne de combat
importante.
La division rend compte à Paris le lendemain par ce télégramme sous n° 796 :
« Bombardements aériens 14 mai ont causé environ 40 victimes chez insurgés
région Guelma-Souk-Ahras. »
Les 19 et 20 mai, nouvelle action de combat, avec deux appareils seulement,
comme appui aérien des opérations du Nador que nous connaissons. Deux
autres appareils effectuent des vols d’intimidation au sud de Villars et sur les
pentes nord de l’Aurès sans bombarder, ni tirer.
Après la soumission du 22 mai, les retraits d’avion commencent. Le 25 mai, la
division ne dispose plus que de cinq appareils à Sétif pour les
reconnaissances. Et, le 11 juin, les derniers appareils regagnent leur base de
Marrakech.
Cela nous amène à la question des victimes de la répression.
Une importante conférence eut lieu à ce sujet le 25 juin 1945 à Alger, à la villa
des Oliviers. Y participaient :
. MM TIXIER ministre de l’Intérieur et CHATAIGNEAU gouverneur général
de l’Algérie
. Les généraux Henry MARTIN et Pierre WEISS (général d’aviation)
. Les amiraux RONARC’H et AMANRICH
Le procès-verbal donne l’évaluation suivante des pertes infligées par l’armée :
. Région de Sétif : environ 250 tués et 50 blessés
. Région de Guelma : environ 150 tués et 200 blessés
Le général Weiss dit : « Tués par l’aviation au grand maximum 200 » et le
contre-amiral Amanrich dit : « Quatre tués certains par les pièces de bord. »
Le chiffre officiel des victimes de la répression militaire serait donc de 600
tués indigènes, en face des quelque 150 civils européens massacrés et sans
mentionner les pertes de nos troupes en opérations.
Voir taille réelle
Mais le chiffre réel des pertes musulmanes est certainement supérieur. En
effet, un nombre certain d’indigènes ont été victimes de l’indignation
compréhensible de civils français qui venaient de trouver des parents ou amis
chers assommés, éventrés, émasculés…
Des faits impressionnants m’ont été cités par les témoins.
A Sétif, par exemple le 8 mai 1945, un agent d’assurance rentrait de sa
tournée avec sa femme lorsque des arabes se mettent à tirer sur sa voiture et
tuent son épouse. Il fonce, parvient chez lui, dépose le corps tout chaud de sa
femme sur son lit et, fou de douleur et de rage, il ressort avec son fusil dans la
rue, promettant d’ « en descendre une douzaine » !
A la gare de Guelma, des cheminots français ayant été massacrés par des
collègues indigènes, le chef de district de la voie organise la résistance,
parvient à s’emparer de l’un des meurtriers, le fait dûment reconnaitre par les
camarades témoins du meurtre et l’abat.
A Aïn-Abid, à 25 kilomètres du Kroub , c’est le spectacle révoltant d’une mère
éventrée avec son bébé poignardé sur elle qui provoque des réflexes de
vengeance et de meurtre, aux dépens d’indigènes sans doute innocents.
De tels règlements de comptes n’ont pu tous être enregistrés, mais en
admettant qu’ils aient pu porter à 2 000 ou 3 000 le nombre officiel des morts
musulmans, nous sommes loin des chiffres fantastiques qui seront donnés
plus tard par les gens du fln qui parleront de 45 000 morts !
Ferhat Abbas dira même 60 000 morts !
De tels chiffres sont tout à fait invraisemblables étant donné la nature des
opérations militaires dans des bleds ou djebels à faible densité de population,
les villes n’ayant connu aucune répression massive et aveugle même Sétif qui
était au coeur de la sanglante révolte.
Et les officiers français qui dirigeaient les opérations n’étaient pas des nazis
capables d’ordonner ou d’exécuter ses massacres systématiques, voisins du
génocide !
On parlera de « douars sans hommes, tous massacrés » ! Beaucoup de douars
en zone rebelle ont été, en effet, trouvés vides d’hommes, mais c’était parce
que ceux-ci avaient fui devant l’avance de nos détachements, par crainte
d’arrestation ou de représailles. Et les coupables ou suspects arrêtés par nos
troupes ont été remis à la gendarmerie qui n’était pas la gestapo !
LA MORALE DE L HISTOIRE
Certes, la répression a été dure, mais les moyens dont disposait celui qui était
chargé d’arrêter les meurtres d’européens et les actes de sauvagerie qui les
accompagnaient et de rétablir l’ordre et la sécurité dans un immense pays,
étaient extrêmement réduits. Or, comme écrit le colonel Groussard :
« Une répression est d’autant plus sévère que les moyens sont faibles. Mais
ces évènements allaient servir à la propagande des excitateurs des foules
musulmanes. »
Lancé par la radio du Caire, « le mythe de la répression massive ayant fait des
dizaines de milliers de victimes innocentes » fut sans cesse repris, par la
suite, au point de convaincre le monde de son effroyable réalité.
A la fin des troubles, si ceux-ci s’étaient clos par un véritable massacre de
musulmans, on n’aurait pas vu, chose tout à fait exceptionnelle – le cadi de
Constantine venir inviter le général Duval, de même que le général Henry
Martin, de passage, assister à la cérémonie organisée à la mosquée pour
« remercier le Tout-Puissant d’avoir rétabli la paix ». Et la cérémonie se
déroula sans incident dans le plus grand recueillement.
De ces douloureux évènements – qui ont déchiré le coeur de ceux qui aimaient
nos colons, pour les avoir vus à l’oeuvre sur les terres qu’ils avaient fertilisées,
et nos musulmans pour les avoir commandés avec fierté sur les champs de
bataille – laissons le général Duval tirer, lui-même, la leçon.
Dans sa lettre du 16 mai 1945 au général Henry Martin il écrivait :
« L’intervention immédiate a brisé la révolte, mais il n’est pas possible que le
maintien de la souveraineté française soit basé exclusivement sur la force. Un
climat d’entente doit être établi. »
Et dans une lettre que sa famille a bien voulu me communiquer, il déclarait
aux hautes autorités de Paris : « Je vous ai donné la paix pour dix ans. Mais il
ne faut pas se leurrer. Tout doit changer en Algérie. Il faut faire des réformes
sérieuses. »
Mais, l’orage passé, Paris s’endormira et rien de sérieux ne sera fait pour
satisfaire les légitimes aspirations des musulmans.
Et cette paix, ainsi promise durera presque dix ans – exactement neuf ans et
demi – jusqu’à la Toussaint de 1954… marquée par les premiers attentats,
prélude à l’insurrection.
Colonel Adolphe GOUTARD
5 commentaires »
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Bonjour passionnant toutes ces informations…
Avez vu connu Marthe PEREZ épouse PIMPARA Frantisek née en 1901à Sétif. Si je lis bien son acte de naissance elle habitait rue Justimeu.
Cordialement
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http://mdame.unblog.fr/2010/05/26/les-emeutes-autour-de-setif-et-la-repression-qui-sen-suivit/
dans le site FDESOUCHE
http://www.fdesouche.com/42421-la-ciociara
voir mon commentaire n°167
merci
Bonjour,
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bravo et merci à tous
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