Un prestigieux cadeau de la France à l’ Algérie
La Bibliothèque Nationale d’Alger
Un cadeau, en effet, dont on a peu parlé, mais qui aurait dû être signalé avec éclat, offrande généreuse parmi tant d’autre : la Bibliothèque Nationale d’Alger avec ses quatre cent mille volumes (400.000) parmi lesquels quelques trois mille manuscrits du fonds arabe et persan ; ses abondantes collections de journaux du fonds nord-africain parmi lesquels le « Moniteur algérien » vétéran de la presse de l’Algérie française ; l’abonnement régulier enfin à mille trois cent périodiques ; sans oublier non plus sa section musicale où se trouvaient réunies vingt-cinq mille partitions environ…
Aussi, lorsque le 7 juin 1962, nous vîmes brûler, à l’orée de la rue Michelet, la bibliothèque de l’Université et la facade de la Faculté se transformer sous les flammes en fière ruine romaine – les hauts cintres vides de ses fenêtres monumentales calcinées se découpant sur le ciel trop bleu pour notre désarroi, son élégante colonnade de marbre blanc et ses deux frontons triangulaires de style gréco-latin rendant frappante plus que nature la ressemblance, reliant ainsi en quelque sorte le passé au présent – nous fûmes quelques uns à nous interroger :
»Et si la Bibliothèque Nationale allait subir le même sort ? »- Tout en ce terrible mois de juin, tout en effet paraissait possible… Mais la Bibliothèque Nationale ne brûla pas. Déjà fermée au public, très sage précaution, elle fut seulement le lendemain ou le surlendemain occupée par les militaires, ce qui peut-être lui évita le pire, le destin tragique par exemple de la Bibliothèque d’Alexandrie, autre haut lieu africain et oriental de l’intelligence et de la culture que le feu ravagea finalement au VIIe siècle, sur l’ordre paraît-il, du Calife Omar. Perte irréparable pour le monde antique et sans doute pour l’intégralité du monde civilisé…
Les ans ont passé. Peut-être pouvons-nous maintenant parler de notre bibliothèque algéroise avec un peu plus de sérénité, nous souvenir avec des regrets moins amers de sa belle façade toute neuve, longue de quelques 125 mètres – le bâtiment tout entier avait été solidement adossé à la colline des Tagarins – de sa moderne et harmonieuse façade se déployant boulevard de Tassigny au-dessus du « building » du Gouvernement Général et du « forum », l’admirable baie d’Alger et les violettes montagnes Kabyles en toile de fond.
Quel chemin avait donc été parcouru depuis les temps héroïques de la première installation !… - Fondée pratiquement dès le début de la conquête la bibliothèque eut nécessairement des commencements hésitants et fort modestes – n’étant alors ni bien pourvue, ni vaste, ni confortable – ce qui n’enlève rien, au contraire, à sa longue histoire toute à la gloire des hommes savants, laborieux et compétents qui s’attachèrent avec passion à la créer, à l’agrandir, à l’enrichir, bref à la rendre digne d’une ville comme Alger – 600 000 habitants en 1954 – devenue capitale en somme de l’Empire colonial francais.
Le « Moniteur algérien » de novembre 1832 (1) annonce déjà avec plaisir et sur un ton mondain la création projetée d’une « bibliothèque publique » pour Alger. « Nous allons bientôt posséder une bibliothèque publique, disait le Moniteur, et l’envoi des livres nécessaires à la fondation de cet établissement ne saurait tarder ».
Certes dans la Régence d’Alger à cette époque les intellectuels de tous bords abondaient. Les uns débarqués avec les soldats du général de Bourmont dès juillet 1830, savants, écrivains, artistes, journalistes, les autres arrivés depuis la Métropole. Tous avaient certainement beaucoup de projets en tête. Et nous savons que l’on s’agitait fort et d’une façon un peu désordonnée pour créer journaux, théâtres, librairies, écoles et bibliothèques, publiques ou privées… Mais l’argent, « le nerf de la guerre », manquait cruellement le plus souvent et cette circonstance mettait un frein à l’enthousiasme des pionniers de la culture. En outre pour fonder une véritable bibliothèque publique à Alger, il fallait alors que le Ministre des Travaux publics, et le Ministre de la guerre – tous deux décidant de Paris ! – se mettent d’accord avec I »‘Intendant Civil de la Régence d’Alger », tel était le titre porté par le responsable financier au plus haut degré des territoires nouvellement conquis sur les Turcs, territoires aux limites et au statut combien incertains encore ! Le projet resta donc projet sans être abandonné pour autant.
Louis BERBRUGGER 1835 – 1869
En fait l’acte de naissance de la Bibliothèque Nationale d’Alger ne fut réellement dressé qu’en 1835 époque où le général Clauzel fut nommé « Gouverneur Général des possessions francaises dans le nord de l’Afrique. » (2).
Clauzel débarqua en plein mois d’août accompagné, entre autres, de son secrétaire particulier qui s’appelait Louis Berbrugger, personnage passionné d’histoire et d’archéologie, lettré et linguiste. Au surplus, jeune et dynamique, « intrépide » comme l’on disait. Né en 1801 il avait alors 34 ans. Le secrétaire du nouveau gouverneur se sentit aussitôt, il semble, la vocation de bibliothécaire. Dès lors les choses avancèrent rapidement, et en octobre 1835 le ministre de la guerre nomma Louis Berbrugger bibliothécaire. Un bibliothècaire sans bibliothèque cela ne peut raisonnablement se concevoir ! On chercha donc et on trouva un local, bien modeste il est vrai, et la bibliothèque algéroise fut tout de même officiellement installée. Quelques caisses de livres envoyées de Paris par le « ministère de tutelle » constituèrent le premier fonds. Qui avait choisi ces livres et comment avaient-ils été choisis, peu importe ! Mélange hétéroclite sans doute, ils existaient, c’était l’essentiel. Et ils firent boule de neige durant plus d’un siècle
Le local retenu – peut-on dire choisi ? – se trouvait situé dans l’impasse du Soleil, ainsi nommée sans doute par antiphrase – car dans cette ruelle obscure du quartier de la Marine, quartier alors central – ne sourions pas ! – le soleil ne pénétrait guère, sauf peut-être furtivement et par effraction au plus fort de l’été. Tout ce pâté de maisons devenues bien vétustes devait être démoli quelque cent ans plus tard en même temps que le célèbre « Hôtel de la Régence » dont nous aimions après tout, les vieux palmiers échevelés… On put tracer alors, à la fin de la seconde guerre mondiale, l’avenue du 8 novembre que les Algériens appellent aujourd’hui du 1er novembre. D’un mois de novembre (1942) à 1954 l’autre (1954) ainsi va l’Histoire.
Aussitôt intronisé Louis Berbrugger se mit à la tâche. Suivant une idée qui lui était chère il n’entendait pas se contenter des envois de Paris. Il s’intéressait aux manuscrits par goût d’historien et formation d’arabisant, et il se mit en tête de recueillir les documents que, disaient les militaires, les Arabes détruisaient systématiquement à l’approche des colonnes expéditionnaires françaises. Il obtint d’accompagner les soldats en campagne dans le bled, chose du reste assez souvent accordée aux savants comme aux artistes. Ainsi suivit-il les combattants de la conquête de Mascara à Constantine en passant par Médéa – et Tlemcen ! Ainsi réussit-il à sauver, entre autres, du feu ou de l’éparpillement au gré du vent, des recueils de lois et coutumes islamiques du plus haut intérêt, expédiés vers Alger, comme l’on pouvait, à dos de cheval ou de dromadaire… Ainsi mena-t-il, comme il l’écrivit lui-même « la vie des soldats et de leurs illustres chefs « partageant, pour l’amour de la science, des dangers et des fatigues qu’il ne faut surtout pas minimiser. Et ce fut là l’origine peu banale du fonds arabe dont s’enorgueillit plus tard la bibliothèque d’Alger…
- Quoi qu’il en soit, en 1838 notre Bibliothèque fonctionnait bel et bien. Elle avait des « clients », c’est-à-dire des lecteurs, et prêtait ses livres dont le nombre s’accroissait régulièrement puisque un budget lui avait été affecté, dont le montant annuel s’élevait à 6600 F chiffre qui peut paraître ridiculement modeste, mais en ces temps lointains on parlait en francs-or,considération non négligeable sans doute. Et sous l’impulsion énergique de Louis Berbrugger tout alla de la sorte que la bibliothèque publique d’Alger au bout de trois ans, se sentit à l’étroit, vraiment mal à l’aise, impasse du Soleil. Elle fut donc s’installer dans un nouveau local, près de la Porte Bab-Azoun. En ces lieux où s’établirent plus tard l’Opéra et le Square Bresson se trouvaient encore en 1838 les anciennes casernes turques des Janissaires, beaux bâtiments d’architecture arabe classique. On y logea la bibliothèque. Petite concession elle n’était pas seule à occuper la portion de caserne octroyée, elle partageait avec une école et une ébauche de musée archéologique. Cette fois l’endroit ne manquait pas d’allure, ni même de somptuosité, et nous qui avons connu le Cercle des Officiers de la garnison d’Alger installé jusqu’en 1962, dans une partie subsistant de ces casernes, nous pouvons imaginer le décor : pavement de marbre et de faïences moresques, vaste salle donnant sur un patio orné de fines colonnes torses, fontaines chantant dans les bassins entourés de figuiers des Banians : Ces figuiers que nous avons contemplés centenaires et torturés par l’âge, avec leurs racines aériennes enchevêtrées comme de monstrueux serpents, beaux encore et émouvants justement par tout ce qu’ils évoquaient d’histoire…
La bibliothèque devait demeurer 10 ans porte Bab-Azoun. Un document d’archives nous apprend qu’en 1846, elle était riche d’environ 1 500 volumes reliés et classés, et de « 687″ manuscrits arabes, concernant surtout la religion et le droit islamique, parmi lesquels quelques beaux exemplaires du Coran, soigneusement calligraphiés au calame, la plume de roseau taillé, de cette magnifique écriture qui est tout un art à elle seule.
En 1848 un événement important se produisit. Est-on redevable de cela au roi Louis-Philippe ou bien à la toute nouvelle république ? Quoiqu’il en soit la bibliothèque et le musée furent, comme cela semble normal, rattachés au ministère de l’Instruction publique. Alors on s’avisa que, en somme, l’ex-caserne des Janissaires, malgré son cadre historique, n’était pas tellement fonctionnelle. Les lecteurs y avaient froid en hiver et trop chaud en été, tous moyens (même les braseros au charbon de bois ou aux noyaux d’olives ! ) manquant sans doute pour régulariser les températures extrêmes. Et puis le quartier était tellement bruyant ! Bref, le nouveau ministère de tutelle décida de déménager encore une fois bibliothèque et musée. Alors, l’ensemble fut transporté rue des Lotophages – à qui donc est-on redevable de ce nom, souvenir d’Homère, qui nous enchantait ? – dans une habitation non moins historique, de pur style mauresque, sise à l’ouest d’Alger, en bordure de la mer. Le groupe formé par les vestiges de la rue des Lotophages et de la rue Bélisaire, nous étions quelques uns, quelques unes, à le prendre pour but de promenade en sortant de la Faculté, suivant les quais, puis le boulevard Amiral Pierre. Au niveau de la Consolation il fallait affronter parfois l’éclaboussure des embruns que nous lançaient les vagues en furie… Nous aimions rêver un instant devant cette petite merveille qui avait bravé le temps et les destructions successives de l’Alger des Corsaires, légers moucharabiehs de bois de cèdre sculpté, faïences colorées et marbres blancs et délicieux petit jardin fleuri de bougainvillées, orné d’une vasque et d’un mince jet d’eau. C’était alors la résidence du Général commandant la Région militaire, après avoir été, à l’époque de la Régence turque, celle du Consul des Etats Unis.
La bibliothèque d’Alger non seulement s’y installa plus à l’aise, mais la beauté et l’authenticité de son cadre lui attirèrent des visiteurs de marque comme Edmond et Jules de Goncourt, Alexandre Dumas, le Prince Napoléon – ce dernier fils du roi Jérôme, cousin de l’Empereur et ministre « de l’Algérie et des Colonies », pour quelques mois, en 1858. Il faut dire que sous la Monarchie de Juillet et le Second Empire le voyage en Alger était à la mode chez les écrivains et les artistes, remplaçant un peu, en quelque sorte, le classique voyage à Rome… La personnalité de Louis Berbrugger qui depuis 1854 ajoutait à son titre de bibliothécaire celui d’Inspecteur des Monuments historiques et des Musées archéologiques de l’Algérie », n’était certes pas étrangère à ce succès. Son ouvrage « L’Algérie pittoresque et monumentale » paru en 1843 l’ayant hautement désigné pour cette tâche, ainsi que la création de la « Revue africaine » (qui devait paraître jusqu’en 1961) revue historique qui se donnait pour but de mieux faire connaître le Nord de l’Afrique depuis les temps les plus reculés.
Les choses allèrent ainsi jusqu’en 1861 , époque à laquelle les aménagements du boulevard longeant la mer « obligèrent » – quel sacrilège, quand on y pense ! – à détruire une partie de la rue des Lotophages et à prolonger face à la mer un mur d’enceinte qui fit la nuit dans la salle de lecture de la Bibliothèque. C’était inacceptable – et il fallut songer une nouvelle fois à déménager.
LE PALAIS DE MUSTAPHA PACHA
En 1862, le Conseil Général, saisi du problème décida l’acquisition du palais de Mustapha Pacha construit à la fin du XVIIIe siècle par l’ancien Dey d’Alger. La dépense était-elle considérable, nous l’ignorons. C’était en tout cas une bonne et sage décision. Sans attendre, la bibliothèque s’installa dans l’ancien palais de Mustapha Pacha, situé rue de l’Etat Major, derrière la grande mosquée Ketchaoua (qui deviendra plus tard la Cathédrale du diocèse d’Alger). Elle devait y demeurer plus d’un siècle et c’est là, alors rue Emile Maupas, que nous l’avons connue, nous les étudiants d’avant… 1954. Louis Berbrugger put jouir de son palais et parfaire son oeuvre durant plusieurs années encore. Il mourut en 1869, laissant la bibliothèque d’Alger déjà honorablement pourvue, enrichie non seulement par des acquisitions constantes mais aussi des dons et legs fréquents, riche entre autres de 1 500 manuscrits arabes auxquels le bibliothècaire avait apporté tous ses soins et qui furent ainsi sauvés d’une destruction certaine.
La demeure de Mustapha Pacha était réellement un palais. Le Dey, et ses architectes, sans doute espagnols, avaient bien fait les choses : trois étages donnant, par des galeries à arcades en fer à cheval brisé, sur une cour centrale ; salles soutenues par des colonnes de marbre couleur de l’ivoire, à cannelures en spirale, colonnes apportées d’Italie, paraît-il ; partout sur les murs, des faïences bleu de Delft représentant des bateaux, ou hispano-mauresques à motifs fleuris d’arabesques en camaïeu jaune, ou polychromes. Mais comme dans toutes les demeures maures « classiques », peu d’ouvertures sur l’extérieur, peu, très peu de fenêtres, mais des « claustras », dentelle de stuc à verres de couleur, donc peu de lumière… Cependant dans l’ombre fraîche et silencieuse de ce décor, passer un après-midi de printemps, du printemps algérois déjà chaud, à lire les « Mille et une nuits » dns la traduction intégrale du Docteur Mardrus constituait un plaisir d’un raffinement suprême. Dans ce cadre tout de même un peu insolite pour une bibliothèque qui se voulait aussi à la pointe de l’actualité, nous venions chercher parfois ce que nous ne trouvions pas à la bibliothèque universitaire : revues et journaux de Paris ou du Caire, aussi bien, je me souviens, que la collection complète des « Lundis » de Mr de Sainte-Beuve. Qui donc lit encore, aujourd’hui à Alger, les « Lundis » de Sainte-Beuve ?…
OSCAR MAC-CARTHY (1869 – 1891)
Le successeur de Louis Berbrugger fut le géographe Oscar MacCarthy. Envoyé en Algérie pour une « mission d’exploration » par le général Lamoricière en 1849, MacCarthy avait été durant une quinzaine d’années voyageur infatigable et, un temps, le compagnon du peintre Eugène Fromentin dans ses pérégrinations ; protégé par son aspect modeste et inoffensif et ses dons de « toubib » animé seulement par l’amour du prochain, il avait pu pénétrer dans les douars les plus reculés et apprendre à connaître le pays et ses habitants. Mac-Carthy n’était donc pas un « étranger », au contraire. Il se montra digne de son prédécesseur et prit si bien à coeur ses obligations de bibliothècaire qu’un rapport de 1875 indique pour la bibliothèque d’Alger un fonds de 17.852 volumes et 174 manuscrits arabes. Un avocat, lyonnais et poète, voyageant en Algérie vers 1878 écrit dans ses « Notes de voyage » (3) : « Avec un mince budget de 15 000 francs servi par le ministère de l’Instruction publique, le bibliothècaire d’Alger fait merveille : toutes les revues, tous les livres nouveaux et à l’ordre du jour se trouvent dans ce délicieux sanctuaire ». On ne saurait mieux dire !
- EMILE MAUPAS (1891-1916)
- Après la mort de Mac-Carthy survenue en 1891 la bibliothèque d’Alger devint « nationale », titre justifié qui consacra l’importance qu’on lui attachait à Paris même ; et 3 années plus tard fut séparée du musée qui devint le musée Stéphane Gsell que nous avons connu. Le destin de la bibliothèque fut alors confié à l’adjoint même de MacCarthy : Emile Maupas, personnage assez extraordinaire, archiviste de carrière et génial biologiste amateur dont les découvertes sur les infusoires faites dans une incroyable petite pièce attenante à son cabinet de bibliothécaire – modeste microscope et matériel rudimentaire – devaient marquer la biologie en cette fin du XIXe siècle. Il fut correspondant de l’Académie des Sciences, et une médaille commémorative frappée à son effigie de son vivant porte au revers ces titres à sa gloire, curieusement d’actualité encore aujourd’hui : « Rajeunissement caryogamique des Ciliées, sexualité des Rotifères et des Nématodes ! ! etc. Emile Maupas accueillait cependant dans son bureau, avec une égale courtoisie, dit-on, tous ses visiteurs et sut ainsi faire de la Bibliothèque Nationale le lieu de rencontre privilégié non seulement des érudits, littéraires ou historiens, géographes ou linguistes, mais aussi des chercheurs scientifiques, d’Alger ou d’ailleurs. Ah ! la magnifique époque, quand on y songe ! la prodigieuse époque !…
Emile Maupas mourut en 1916. Il laissait la bibliothèque d’Alger en possession de 32 000 volumes dont « 5 000 relatifs à l’Afrique du Nord ; 2 075 manuscrits arabes et persans ; 106 titres de périodiques… « classés sur fiches à la fois par noms d’auteurs et par matières. - 1916 ! C’était la guerre, période peu propice aux soucis intellectuels…
GABRIEL ESQUER ( 1920 – 1948)
A la fin du conflit, en 1920, un nouvel administrateur fut désigné pour notre bibliothèque, algéroise et nationale à la fois : ce fut Gabriel Esquer. Celui-ci était arrivé à Alger en 1909 comme « archiviste-bibliothècaire » au Gouvernement Général ; il avait 33 ans et ne devait plus quitter Alger. Comme ses prédécesseurs il se dévoua à sa tâche. Mais l’époque héroïque était révolue. Monsieur Esquer, comme nous disions, que nous avons bien connu pour sa remarquable « Iconographie historique de l’Algérie » et sa brillante « Histoire de la prise d’Alger », se voulait un administrateur moderne qui souhaitait faire, et continua à faire dans la mesure du possible, de « sa » bibliothèque un instrument de travail efficace et pratique
Les fastes du Centenaire, en 1930, appelèrent encore une fois l’attention sur la bibliothèque d’Alger, comme c’était normal, la France magnifiant dans tous les domaines l’oeuvre accomplie dont elle était fière à juste titre. Une statistique précise pour la circonstance que le fonds d’intérêt général » se monte à plus de 80 000 volumes dont 10 000 intéressant l’Afrique du Nord ; non compris les manuscrits arabes dont le nombre dépassait 2000. L’on s’avisa alors que la Bibliothèque Nationale se trouvait à l’étroit, décidément, dans l’ancienne résidence de Mustapha-Pacha et même que le « délicieux sanctuaire » devenu quelque peu archaïque n’était plus du tout adapté à son rôle. Et l’on songea si réellement à déménager que, dans la foulée des générosités du Centenaire, un avant-projet de bâtiment entièrement nouveau fut élaboré pour la Bibliothèque Nationale d’Alger.
Mais Gabriel Esquer n’eut pas à effectuer cet ultime et périlleux déménagement, car il prit sa retraite en 1948, après 28 années de dévoués services – et notre bibliothèque ne devait quitter définitivement le vieux palais de Mustapha Pacha qu’en 1958, dans le contexte historique et proprement stupéfiant que l’on sait.
GERMAINE LEBEL (1948 – 1962)
Ce fut une femme, Melle Germaine Lebel, sortie de l’Ecole des Chartes, qui remplaça Gabriel Esquer. Et c’est à elle que revint la tâche ardue de faire fonctionner la bibliothèque dans les années difficiles, ce qu’elle fit avec un succès constant jusqu’à la débacle finale, en 1962. A elle revint donc aussi la tâche non moins délicate, voire écrasante, d’organiser le transfert de la bibliothèque dans ses nouveaux locaux. La première pierre du futur édifice avait été posée avec solennité en avril 1954. Quatre longues années furent nécessaires pour mener l’ouvrage à bien. (Et combien de millions de l’époque ? ). Finalement l’inauguration en fut faite très officiellement le 12 mai 1958. Cette date ne vous dit-elle rien ?
Le lendemain c’était l’émeute, la révolte désespérée de l’Algérie française et profonde, et la prise par les étudiants de la foule algéroise de l’immeuble du Gouvernement Général, ce symbole. Quelle troublante coïncidence ! La France qui voyait tout s’effondrer de son oeuvre en Algérie inaugurait une grandiose bibliothèque, l’Administration fermant résolument les yeux sur les réalités prévisibles. Orgueil d’une nation qui se voulait avant tout magnanime et prodigue, accablée qu’elle était sous le poids des fantasmes d’une culpabilité centenaire soigneusement entretenue ? Les historiens trancheront-ils un jour la question ? Quoi qu’il en soit le lendemain c’était le 13 mai, l’émeute et ses cris sous les fenêtres mêmes des salles inondées de soleil de la Bibliothèque Nationale dont les portes venaient de s ‘ouvrir au public.
Oui, certes, le cadeau de la France était d’importance, et les promoteurs n’avaient pas lésiné, misant largement sur un développement ultérieur quasi illimité : dix niveaux de magasins livres, 36 kilomètres de rayonnage pour une capacité potentielle de 1 200 000 volumes, c’est-à-dire le triplement du fonds existant. (4)
- A tout cela que pouvons-nous ajouter ? Non seulement la Bibliothèque Nationale ne brûla pas en juin 1962 ; mais un peu plus tard, après « l’indépendance », elle fut déclarée tout naturellement et sans complexes Bibliothèque Nationale d’Algérie. Comme aurait dit La Fontaine, le geai s’emparait et se couvrait des plumes du paon qui, lui, s’était envolé, tristement déplumé. Aujourd’hui, enrichie des envois empressés, importants et pas du tout désintéressés des U.S.A., de l’U.R.S.S. et de l’Egypte en particulier, mais cependant encore essentiellement rattachée à la francophonie, elle est considérée par les érudits comme la bibliothèque la plus importante du continent africain, sans la moindre pensée reconnaissante, on s’en douterait, pour la France et les Français exemplaires qui la firent peu à peu sortir du néant.
Qu’importe ! Il nous semble qu’il aurait fallu, même en 1958, et afin que nul n’en ignore, graver en bonne place, à l’entrée de la grande salle de lecture de notre Bibliothèque Nationale, ces paroles de Gabriel Esquer : - »La recherche intellectuelle en Algérie est une oeuvre purement française et pour laquelle il n’existait dans le pays rien, ni personne, qui puisse nous être de quelque utilité« .
- R. Bourgeois Septembre 1982 LYON
(1) Cité par Maurice Sarazin. Article paru dans la revue « Ecrits et Paris »
juillet-août 1982, à qui nous empruntons certains chiffres de détails.
(2) Le terme lui-même d’Algérie, qui semble une création française n’apparut dans les actes publics qu’à la fin de 1839.
(3) Article cité.
(4) A titre de comparaison. La bibliothèque municipale de Lyon-Part-Dieu possède actuellement un fonds général de plus d’un million de volumes.
- Une demande de renseignements succints adressée au Conservateur de la Bibliothèque Nationale d’Algerie, sur les principaux fonds actuels est demeurée sans réponse…
11 commentaires »
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M’dame, encore une fois, grâce à vous, j’ai appris des choses fort intéressantes. Et puis, je ne sais trop pourquoi… c’est sans doute l’un de vos textes qui m’a plus emballé. C’est sans doute dû au fait qu’il touche à des souvenirs qui vous sont très chers.
Pour la première fois, je ne peux me retenir de vous embrasser.
Vincent Lajaro.
en 1962 .soit 132 de colonie .. et rien n’a était fais pour instruire .. les algerien … le pir crime que l humanité a comit … est l’assassina de toute une culture … réviser l histoire madame … quand l’islame vous a trouver … vous brulé ceux qui chercher la verité .. qui a découvert la médcine l’alchimie qui a inventer la pharmacie … en parlent de livre .. ou sont passé les notre ? brulé par les francais des ouvrage de plus de 10 siecle … il ne sufi pas d’avoire une bibliothéque il faudrai aprendre a lire l’histoire vois aprendra bien des choses
S Oulame on n’en finit plus de revisiter l’Histoire. Que la France vous ait colonisé durant 132 ans… elle bien eu tort car cela ne lui a rapporté que des clopinettes et encore plutôt des déficits et bien des tracas. Mais que dîtes-vous des siècles où vous êtes resté en Espagne ? Quant à dire que la France n’a pas instruit les autochtones, c’est en grande partie vraie, mais pas totalement. La plupart de vos élites sont passés par l’école française. Et puis, je serais curieux de connaître le taux de scolarisation avant 1830. Certainement bien inférieur à celui de 1962 (30 %).
Quant à la découverte de la médecine par les musulmans, tout est relatif, les Grecs étaient déjà passés par là. Et si vous avez inventé la pharmacie, votre Président vient tout de même se faire soigner en France.
Oui, la France a eu de grands torts en Algérie. Mais elle a laissé pas mal de choses sur cette terre, pour solde de tout compte. C’est également un fait incontestable.
La bibliotheque nationale d’alger est certes un beau cadeau mais l’oas l’a incendiee en 1962 juste avant l’independance.
C’est la bibliothèque universitaire qui a été incendiée par l’OAS et non pas celle qui est évoquée dans cette rubrique. Relisez-bien le début du texte.
Je suis d’accord avec les avis precedents
On ne refera pas l’Histoire passée mais « Amis Algériens » soyez un peu lucide .. cessez de fustiger la France : Qui a largement participé à la construction du métro d’Alger (projet de la RATP des années 1950) ? Qui a autant participé à la restauration du Jardin du Hamma ? Qui œuvre autant à mettre en place un système de gestion des archives algériennes en Algérie ? Qui a largement participé aux fouilles archéologiques de la « Place des Martyrs » à Alger, ex place du Gouvernement ? ET OUI C’EST ENCORE NOUS LES FRANCAIS !
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